Vous avez dit proportionnalité en matière de TVA ?
Il est de pratique courante, pour les administrations fiscales européennes, d’arguer qu’un assujetti ne peut bénéficier pleinement d’un droit à déduction de la TVA acquittée en amont sous prétexte qu’il ne réalise « pas assez » d’opérations soumises à la TVA en aval.
Dans l’affaire soumise à la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après « la CJUE »), le fisc italien refusait précisément qu’un assujetti n’exerce son droit à déduction de la TVA acquitté en amont au motif que, durant trois périodes imposables consécutives, ce dernier n’avait pas effectué d’opérations soumises à la TVA à concurrence d’un certain montant dont les modalités de détermination étaient fixées par la législation italienne.
En d’autres termes, selon la loi italienne et le fisc italien : si trop peu de TVA était facturée à la sortie, alors le droit à déduction de la TVA acquittée en amont devait être limité.
Selon la Cour, une telle législation nationale est incompatible avec la directive TVA et viole tant les principes de neutralité et de proportionnalité, pour les raisons suivantes :
- La qualité d’assujetti à la TVA n’est pas soumise au respect d’une condition de seuil de chiffre d’affaires préalablement fixé correspondant à un rendement raisonnablement attendu des actifs de l’opérateur économique concerné. En ce sens, la qualité d’assujetti est objective et est acquise dès la réunion des conditions fixées par l’article 9, §1er, alinéa 1er de la Directive TVA ;
- Aucune disposition de la Directive TVA ne subordonne l’exercice du droit à déduction à la réalisation d’un certain chiffre d’affaires en aval : le droit à déduction peut être exercé par un assujetti (1) ayant « acheté » des biens ou des services en vue d’exploiter une activité économique indépendante de manière habituelle (2) ;
- Le droit à déduction peut être limité en cas d’abus et de fraude, ce qu’il appartient aux autorités fiscales de démontrer de manière objective : le critère de non atteinte d’un certain seuil de chiffre d’affaires est étranger aux conditions permettant d’invoquer une fraude ou un abus fiscal.
La conclusion de la Cour est limpide :
- L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu’il ne peut pas conduire à priver de la qualité d’assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) une personne qui, au cours d’une période imposable donnée, effectue des opérations soumises à la TVA dont la valeur économique n’atteint pas le seuil fixé par une législation nationale, lequel correspond au rendement raisonnablement attendu des actifs dont cette personne dispose.
- L’article 167 de la directive 2006/112 ainsi que les principes de neutralité de la TVA et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale en vertu de laquelle l’assujetti est privé du droit à déduction de la TVA acquittée en amont, en raison du montant des opérations soumises à la TVA réalisées par cet assujetti en aval, considéré comme étant insuffisant.
A l’heure où le droit à déduction des assujettis est de plus en plus remis en cause de manière infondée et abusive (CJUE, arrêts Vittamed et UAB « HA.EN »), il s’agit d’un heureux précédent, qui ne consacre toutefois qu’un principe de base de la TVA : à défaut de fraude ou d’abus, dont les conditions sont strictes, la réalisation d’une activité soumise à la TVA, peu importe le chiffre d’affaires qu’elle engendre, confère à un droit à déduction à l’assujetti.
Il serait de bon ton que les administrations fiscales contribuent activement au respect du principe de neutralité fiscale, et non ne cherchent à le mettre à mal par le biais de restrictions qui n’ont pas lieu d’être.
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Cabinet d’avocats Aurélie Soldai – Avocats au Barreau du Brabant Wallon – Experts en TVA
Source : CJUE, affaire n°C-341/22, Feudi di San Gregorio Aziende Agricole SpA, 7 mars 2024.