La Cour constitutionnelle a rendu un arrêt le 8 juin dernier à la suite d’un recours en annulation portant sur l’article 44, §1er, alinéa 1er, 2° du Code de la TVA (Arrêt n°87/2023).
Cet arrêt a également le mérite de reprendre un résumé succinct des arrêts précédents ainsi que des travaux préparatoires qui ont menés à la modification de l’article 44, §1er du Code de la TVA.
Les faits entourant cet arrêt peuvent être résumés succinctement de la manière suivante.
Un recours en annulation a été introduit en janvier 2022 par l’ASBL « Union professionnelle des logopèdes francophones », l’ASBL « Axxon, Physical Therapy in Belgium », l’ASBL « Ergotherapie Belgium », l’Union professionnelle des sages-femmes belges, la SRL « LC Kiné » et trois autres personnes physiques exerçant la profession de logopède ou de kinésithérapeute ou d’ergothérapeute ou encore de sage-femme au sujet de la modification de l’article 44, §1er du Code de la TVA relatif à l’exemption de TVA applicables aux prestations de soins médicaux à la personne.
Ces praticiens sont visés par l’article 44, §1er, alinéa 1er, 1° du Code de la TVA.
Notons que le recours introduit ne porte pas sur l’ensemble des modifications apportées par la nouvelle mouture de l’article 44, §1er du Code de la TVA entrée en vigueur le 1er janvier 2022.
Ce recours est principalement dirigé contre la modification qui concerne l’extension du champ d’application de l’exemption aux praticiens d’autres professions ou pratiques que celles visées par la loi coordonnée le 10 mai 2015 relative à l’exercice des professions des soins de santé (qui vise les médecins, kinésithérapeutes, sages-femmes, etc.) et par l’article 2, § 1er, alinéa 1er, 2°, de la loi du 29 avril 1999 (qui vise notamment les ergothérapeutes et les logopèdes).
La disposition attaquée est donc la suivante :
« Sont exemptées de la taxe, les prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de leur profession ou pratique par les personnes suivantes :
1° […]
2° les praticiens d’autres professions ou pratiques que celles visées au 1° lorsque les conditions suivantes sont remplies :
a) ils sont titulaires d’une certification délivrée par un établissement reconnu par une autorité compétente du pays où est situé cet établissement ;
b) ils disposent au travers de cette certification des qualifications nécessaires pour fournir des prestations de soins à la personne dont le niveau de qualité est suffisamment élevé pour être semblables à celles qui sont proposées par les praticiens professionnels visés au 1°.
Les praticiens des professions ou pratiques visées à l’alinéa 1er, 2°, informent l’administration en charge de la taxe sur la valeur ajoutée préalablement à l’application de cette exemption. Le Roi détermine les modalités pratiques de cette obligation en ce qui concerne l’introduction de cette déclaration et les données qu’elle contient.
[…] ».
Les motifs avancés par les parties requérantes justifiant l’annulation de la modification susmentionnée sont les suivants :
- La population risque d’être induite en erreur sur le niveau des prestations de soins proposé par les praticiens visés à l’article 44, §1er, alinéa 1er, 2° du CTVA ;
- Cette disposition génère une distorsion de concurrence entre ces praticiens et ceux qui sont visés au 1° de la même disposition ;
- Enfin, la disposition porte gravement atteinte à la qualité et à la sécurité de la dispensation de soins en Belgique.
Sur la base de ces motifs, les parties requérantes invoquent notamment la violation des articles 10 et 11 de la Constitution (égalité et non-discrimination) lus en combinaison le principe de sécurité juridique et l’article 132 de la Directive TVA relative à l’exemption TVA en matière de prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l’exercice des professions médicales et paramédicales.
Les parties requérantes reprochent notamment au législateur de ne pas avoir déterminé la certification, le type de certification ou encore le type de reconnaissance qui sont exigés. Il ne définit pas non plus la manière dont le caractère semblable du niveau de qualité des prestations doit être évalué. Les requérants évoquent par ailleurs qu’aucune vérification de l’information qu’ils transmettent à l’administration fiscale n’est prévue, tout en soulignant que le pouvoir d’appréciation de l’administration fiscale n’est par ailleurs pas encadré. Il résulte également des constats des requérants que le législateur n’a prévu aucun contrôle efficace des qualifications professionnelles et de la qualité des prestations de soins des praticiens relevant de la seconde catégorie. Ils estiment que la disposition attaquée confèrerait à l’administration fiscale, voire aux contribuables eux-mêmes, un pouvoir d’appréciation trop large quant aux conditions d’application de l’exemption.
Dans son arrêt, la Cour rappelle notamment que sur base de la Directive TVA, les États membres disposent d’un pouvoir d’appréciation pour définir les professions médicales et paramédicales visées par l’exemption en matière de prestations de soins à la personne. Ce pouvoir d’appréciation n’est pas illimité en ce qu’il doit tenir compte de l’objectif de la disposition qui est de garantir d’une part, le bénéfice de l’exemption de TVA aux prestations de soins à la personnes fournies par des prestataires possédant les qualifications professionnelles requises et, d’autre part, le principe de neutralité fiscale qui s’oppose à ce que des prestations semblables aient un traitement TVA différent.
Cet objectif n’implique pas que le bénéfice de l’exemption soit uniquement réservé à des praticiens d’une profession réglementée par la législation belge.
La Cour relève également que l’article 170 de la Constitution qui prévoit que la matière fiscale est une matière réservée à la loi (principe de légalité en matière fiscale) n’oblige pas le législateur compétent à régler lui-même chacun des aspects d’un impôt ou d’une exemption. Une délégation conférée à une autorité n’est pas contraire au principe de légalité, pour autant qu’elle soit définie de manière suffisamment précise et qu’elle porte sur l’exécution de mesures dont les éléments essentiels ont été fixés préalablement par le législateur compétent. Les éléments essentiels d’un impôt sont les contribuables, la matière imposable, la base d’imposition, le taux d’imposition et les éventuelles exonérations d’impôt.
La Cour relève que la circonstance selon laquelle les praticiens visés à l’article 44, §1er, alinéa 1er, 2° du CTVA forment une catégorie résiduelle définie de manière négative par rapport aux praticiens des professions et pratiques visées au 1° du même article n’est pas contraire au principe de légalité en matière fiscale. Il est toutefois requis que les contribuables visés par cette disposition soient identifiables au moyen de critères précis, non équivoques et clairs.
À cet égard, le législateur a recouru à des critères larges (conditions visées par les points a) et b) de cet article repris ci-dessus), de sorte que la loi fiscale comporte un minimum de balises d’appréciation.
Dans ces conditions, la Cour dit pour droit que la portée de la disposition attaquée est suffisamment délimitée.
En effet, les praticiens qui souhaitent bénéficier de l’exemption TVA au titre de l’article 44, §1er, alinéa 1er, 2° du CTVA doivent transmettre à l’administration fiscale les données nécessaires lui permettant de vérifier que les conditions de l’article sont remplies. Les travaux préparatoires précisent à cet égard qu’il ne s’agit pas d’organiser une reconnaissance dans le chef de l’administration, mais bien de créer la possibilité d’exercer un contrôle efficace.
Dans ces circonstances, la Cour considère que cet article ne prévoit pas une habilitation générale autorisant l’administration à fixer elle-même, par voie de mesure générale, les bénéficiaires de l’exemption, mais constitue un moyen d’informations destiné à apprécier, dans des cas concrets, sous le contrôle du juge, des situations concrètes de manière individuelle.
La Cour relève en outre que le législateur a prévu certaines garanties, au profit du contribuable, pour le protéger de l’arbitraire, à savoir la possibilité d’introduire une demande de décision anticipée. Les divergences d’interprétation pourront également, le cas échéant, être corrigées par les voies de recours disponibles.
Enfin, la Cour conclut que le pouvoir d’appréciation conféré à l’administration fiscale et au juge, notamment au sujet de l’interprétation de la notion de « qualifications nécessaires pour fournir des prestations de soins à la personne dont le niveau de qualité est suffisamment élevé », pourrait donner lieu à des divergences dans la pratique. Toutefois, ce pouvoir d’appréciation n’enlève pas le caractère précis à la disposition fiscale attaquée.
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Aurélie Soldai – Avocate au Barreau du Brabant Wallon – www.aureliesoldai.be
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