Le droit à la déduction de la TVA est un droit fondamental de l’assujetti. Il résulte du principe de la neutralité fiscale.
Il ne suffit pas pour l’administration de la TVA d’invoquer un abus de droit afin de rejeter la déduction de la TVA. En effet, il faut encore établir que les conditions de l’abus tel que définies par la Cour de Justice de l’Union européenne sont rencontrées. L’administration fiscale a tendance à invoquer l’abus de droit indépendamment de la réunion desdites conditions.
1- Rappel des faits
Le 15 septembre 2022, la Cour de Justice de l’Union Européenne eut à connaitre d’une affaire opposant UAB « HA.EN. » à l’administration fiscale lituanienne. La problématique concernait la limitation du droit à déduction de la TVA en raison d’un potentiel « abus de droit ».
En l’espèce, une société lituanienne avait obtenu, pour une activité immobilière, un prêt auprès d’une banque. Ce prêt était garanti par une hypothèque constituée sur une parcelle de terrain sur laquelle se trouvait un bien immeuble. Par un contrat de cession de créance, la société HA.EN. a repris les créances de sommes découlant de ce prêt ainsi que l’hypothèque susmentionnée.
Le bâtiment objet de l’hypothèque fut mis aux enchères, sans succès. Dès lors, HA.EN. a accepté de reprendre ledit immeuble pour le montant de départ de la mise à prix, soit 4.519.008,26 euros, à augmenter de 948.991,74 euros de TVA. La société vendeuse fut ensuite déclarée en faillite, sans s’être acquittée de la TVA due au trésor public. De son côté, HA.EN. a tenté d’exercer son droit à la déduction de la TVA supportée par elle dans le cadre de la vente de l’immeuble.
L’administration fiscale a refusé l’exercice du droit à déduction au motif que HA.EN., en ayant traité avec un vendeur dont elle connaissait la situation financière désastreuse, savait ou devait savoir que la TVA ne serait potentiellement pas versée au trésor public. Sur cette base, HA.EN. aurait commis un abus de droit, justifiant le refus du droit à déduction.
2- Raisonnement de la CJUE
Deux axes se dessinent dans le cadre de cet arrêt : le premier concerne le droit à déduction, le deuxième concerne l’abus de droit.
Premièrement, il est rappelé que la lutte contre les pratiques abusives réalisées afin d’obtenir un avantage fiscal indu, justifie de refuser le droit à déduction de la taxe s’il est établi par des éléments objectifs que ledit droit est invoqué frauduleusement ou abusivement. Le droit à déduction de la taxe étant une caractéristique fondamentale du système TVA permettant d’éviter qu’un entrepreneur supporte le poids économique de la taxe, il incombe à l’administration fiscale d’apporter de la preuve de l’existence de tels éléments objectifs.
Sur base de ce principe, la Cour conclut qu’un assujetti confronté à des difficultés financières, qui vend, dans le cadre d’une procédure de vente forcée, un de ses biens dans le but d’apurer ses dettes, mais ne peut par la suite « en raison de ces difficultés », s’acquitter de la TVA due, ne peut de ce seul fait être considéré comme coupable d’une fraude à la TVA. Dans ces circonstances, il ne peut d’avantage être reproché à l’acquéreur dudit bien qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il participait à une opération constitutive de fraude à la TVA.
Ensuite, concernant l’abus de droit, il convient de vérifier la réunion des deux conditions suivantes :
1) la réunion des conditions formelles d’une disposition,
2) ayant pour résultat l’obtention d’un avantage contraire aux objectifs poursuivi par ladite disposition (affaire CJUE, Halifax, C-255/02, 21 février 2006).
Selon la Cour, si le droit à déduction constitue en quelque sorte un avantage fiscal, il n’entre pas en contradiction avec les objectifs de la directive TVA, même dans le cadre d’une procédure de vente forcée soumise à la taxe.
Par ailleurs, la connaissance par l’acquéreur des difficultés financières du vendeur, ne saurait en soi suffire à établir le caractère abusif d’une opération, et à justifier le refus du droit à déduction de la TVA. Une telle conclusion reviendrait à faire supporter économiquement à l’acquéreur le risque que le vendeur ne reverse pas la TVA due au trésor public, ce qui est contraire au principe de neutralité fiscale.
3- Conclusion
Le fait de « savoir » ou « devoir savoir » ne peut être reproché à un contribuable que lorsqu’il existe une obligation juridique de savoir. Le fait de connaitre la situation financière difficile d’un assujetti n’est pas suffisant pour considérer que le fait de contracter avec ce dernier constitue une opération abusive justifiant le refus du droit à déduction. Pour ce faire, l’administration fiscale doit réunir la preuve d’éléments concrets et objectifs permettant d’établir l’existence d’un abus.
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Aurélie Soldai, Camille De Neyer et Karim Tourmous – avocats au Barreau du Brabant Wallon – Aurélie Soldai SRL
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Sources: https://curia.europa.eu/
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